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Libération
Critique

Synge en hiver

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Molly, la muse devenue vieille, monologue sur les dernières années du dramaturge
publié le 3 novembre 2011 à 0h00

L'Irlandais Joseph O'Connor (né en 1963) raconte comme personne. C'est un nouvelliste doué (les Bons Chrétiens), mais il préfère développer des histoires. Il fuit la linéarité comme la peste. Il joue beaucoup du changement de vitesse. L'Etoile des mers (traduction en 2003) puis Redemption Falls (2007), romans au long cours, offraient une accumulation de documents, des échantillons d'écritures ordinaires ou officielles, comme de vrais faux papiers, afin de travailler l'effet d'authenticité du récit historique.

Baladins.Muse se passe à Londres, sur deux journées de 1952 : une pour se souvenir, une pour mourir. La mémoire étant ce qu'elle est, souple et vagabonde, aisée à diriger pour un romancier, on va beaucoup circuler. Surtout en Irlande, à Dublin et dans les environs, entre 1907 et 1909. Le roman est en grande part constitué du monologue de Molly, Molly Allgood, nom de scène Maire O'Neill, l'interlocutrice préférée de John Synge. Elle était jeune, il avait seize ans de plus, un cancer, peu de temps à vivre. Lequel était Pygmalion ? Lequel influençait et libérait l'autre ? Ce sont des questions que Molly, avec le temps, pose différemment. Muse essaie de ne pas se réduire à une histoire d'amour, et y parvient assez bien, puisque l'ironie de Synge, Molly s'en souvient, les empêchait de se prendre pour des baladins du monde sentimental. Pour lui, l'amour était «le rêve des costumières». Ils n'étaient pas du