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Libération
Interview

«La rupture, c’est de cesser de vivre dans le monde de l’ennemi»

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L’art de Jacques Rancière
publié le 17 novembre 2011 à 0h00

Chaque chapitre d'Aisthesis commence par un texte critique. Plus canonique avec Winckelmann à propos du torse du Belvédère. Beaucoup moins pour Théodore de Banville étudiant les frères Hanlon Lees, stars du mime autour de 1879. Et puis : Mallarmé sur la Loïe Fuller, Maeterlinck sur le Solness d'Ibsen. Le dossier de presse de la Sixième Partie du monde de Dziga Vertov (1926), etc. Quatorze «scènes» que Jacques Rancière explore dans un essai majeur, fourmillant, où l'on apprend à chaque page (par exemple à faire tenir des enfants-oiseaux sur le dos d'un hippopotame ; ou, plus difficile, à passer d'un vase de Gallé à Die Glückliche Hand de Schoenberg) et qui déroule une pensée politique toujours aussi décapante. Jacques Rancière nous recevait chez lui la semaine dernière.

Quelle différence faites-vous entre «esthétique» et «régime esthétique» ?

L'esthétique est un régime de perception, de pensée et, contrairement à ce qu'on répète souvent, il n'y a pas d'art s'il n'y a pas un ensemble de modes de perception, de formes du jugement qui permettent de dire «ceci est de l'art» ou «ceci appartient à tel ou tel art». Fondamentalement, pour moi, même s'il y a une histoire de l'esthétique comme discipline, qui commence à la fin du XVIIIe siècle, cette émergence n'est elle-même qu'un élément d'une configuration qui touche aux modes de perception, aux formes d'intelligibilité. «Esthétique» est donc à penser comme ce que j'ai appelé un «régime d'identification» de l'art.

Comment s’est construit Aisthesis ?

Il y a eu une première trame, autour de l'analy