Le petit couteau pointu en argent pour peler les figues, le mouchoir blanc qu'on a taillé dans la fine mousseline d'un jupon usé, les gros boutons d'uniforme qui font un peu mal, et dont on se souviendra toujours, quand le soldat serre sa fiancée sur sa poitrine au moment des adieux. Ces détails sont de brusques et vivants signes de vérité, de réalité. Ils clignotent au long du Sorcier de Gettysburg, recueil de nouvelles inédites, délicieuses, de l'auteur de l'Eveil, la romancière américaine Kate Chopin (1850-1904). Dans la nouvelle-titre, un vieillard qu'on croyait mort à la guerre revient chez lui, vagabond amnésique ramassé au bord du chemin par un petit-fils au bon cœur. La grand-mère, reconnaissant son mari, se traîne jusqu'à lui «comme un serpent blessé». C'est du chromo. Mais, quelques pages auparavant, nous l'avons vue telle que nous jurerions l'avoir toujours connue, devant une bassine d'eau chaude et une pile de torchons en lin. «Mme Delmandé n'avait jamais renoncé à l'habitude de laver elle-même son argenterie et sa porcelaine fragile.»
Incendie. Kate Chopin, née O'Flaherty, avait onze ans quand la guerre de Sécession a commencé, en 1861. Elle y a perdu un frère. Son père était mort depuis longtemps. Sa mère étant lointainement française, la famille appartenait à ce qu'on appelait les Créoles, dans la Louisiane d'alors. Ils étaient les propriétaires de plantations bientôt ruinées, se faisaient appeler