A la fin de sa vie, quand il rédige son autobiographie (1), le Prix Nobel de littérature chilien Pablo Neruda écrit : «Que la critique efface toute ma poésie si bon lui semble, mais ce poème, personne ne pourra l'effacer.» Le poème en question n'est pas fait de vers et de mots. Comme l'écrivent les historiens Marielle Nicolas et Jean Ortiz (2), c'est «de la poésie en actes». Episode peu connu, l'épopée solidaire du bateau Winnipeg, qui transporta 2 000 réfugiés de la guerre d'Espagne de Bordeaux à Valparaiso au Chili, sort de l'ombre grâce à un livre et à un documentaire télé (3).
En avril 1939, le gouvernement chilien de Front populaire confie à son consul à Paris, le poète Pablo Neruda, la mission de faire émigrer un grand nombre de réfugiés de la guerre d’Espagne, qui vient de s’achever avec l’entrée des troupes franquistes à Barcelone et Madrid. En France, un demi-million de républicains venus chercher refuge sont déclarés indésirables par le gouvernement Daladier, qui les enferme dans des «camps de la honte».
Le PCF met à la disposition du diplomate le cargo Winnipeg, appartenant à une compagnie de fret créée par l'Internationale communiste pour approvisionner clandestinement en armes l'Espagne «rouge». Les cales sont aménagées pour accueillir deux dortoirs et un réfectoire. Les autorités de la République en exil sélectionnent les candidats au départ, en veillant à une juste répartition entre communistes, socialistes, anarchistes et tro