Après avoir pris l'essai pour objet (le Temps de l'essai, 2006), Marielle Macé en a commis un particulièrement réussi : Façons de lire, manières d'être (1) est une réflexion personnelle sur les modes de vie des lecteurs.
Vous appréhendez la lecture comme une expérience mais aussi comme une conduite. Qu’entendez-vous par là ?
La lecture est en effet une expérience : c’est quelque chose qui arrive à un individu, qui le transforme. En parler en termes de «conduite», c’est y voir en outre un certain genre d’activité, une pratique qui prend sens auprès d’autres pratiques, d’autres gestes de la vie. On s’intéresse alors à la façon dont les lecteurs se conduisent «dans» les livres, cheminent dans des formes de langage, se laissent déplacer par elles ; mais surtout à la façon dont ils se conduisent ensuite «avec» les livres dans la vie, à la façon dont ils en font usage, dont ils rapatrient ce qu’ils ont lu dans leur propre existence, dont ils se réapproprient ces formes de langage. La lecture n’est pas un moment totalement à part, elle nous saisit au cœur de notre quotidien, avec nos questions, nos attentes, et les livres attendent eux aussi que nous leur répondions, que nous fassions quelque chose avec eux.
Ne faut-il pas pourtant s’extraire du monde pour lire ?
C'est vrai, pour lire on commence par se retrancher, et même par se défaire du monde environnant et de ses exigences - Proust a décrit cela magnifiquement. La lecture sépare physiquement, voire socialement : on décide de suivre une ligne qui reste invisible à autrui, on acquiesce à un certain silence, à un autre état de conscience, on se laisse assiéger par une voix