C’est l’histoire d’une course pour la vérité, d’une lutte où les adversaires ont des armes inégales et où les règles changent de manière unilatérale, de sorte que les chances de gagner sont difficiles pour les plus faibles, même s’ils utilisent des moyens ingénieux pour contourner l’injustice. Ils s’obstinent à combattre, parce qu’ils ont le sens des responsabilités, surtout quand il s’agit de la dignité et de l’honneur des hommes.
PDG des Editions de Minuit depuis 1948, Jérôme Lindon dit lui-même, dans l’un des entretiens accordés bien plus tard, qu’il n’a pas d’inclination particulière pour le militantisme. Sa maison, fondée en 1942 dans la clandestinité par les résistants Jean Bruller, dit Vercors, et Yvonnes Paraf, dite Desvigne, cultive d’ailleurs, aux lendemains de la guerre, la réputation de la découverte de talents littéraires, tels Samuel Beckett et les auteurs du Nouveau Roman, Alain Robbe-Grillet, Claude Simon…
Et pourtant : trois ans après le début de la guerre d'Algérie, survenue en 1954 et que le gouvernement français s'évertue à qualifier «d'événements d'Algérie» (1), les Editions de Minuit se lancent «naturellement» dans la publication d'ouvrages politiques qui dénoncent les tortures pratiquées par les militaires français en Algérie, puis en France.
«J'ai le sentiment d'être fidèle à la tradition vivante de la Résistance», dit Jérôme Lindon, qui ne confond cependant pas la République en Etat d'exception, qui durera jusqu'en 1962, avec les année