Luc Boltanski est né aux sciences sociales auprès de Pierre Bourdieu, avec lequel il a cosigné d'importantes enquêtes dans les années 60. Au mitan des années 80, il a fermement pris ses distances pour développer, à travers plusieurs livres majeurs et en forgeant des concepts nouveaux, une œuvre personnelle aujourd'hui très influente. Plus récemment, il est revenu à la sociologie critique en réarticulant les deux moments antérieurs de ses recherches, choisissant, par exemple, de republier en volume la Production de l'idéologie dominante, un article décisif qu'il avait écrit avec Bourdieu en 1976. Un mois après la parution du cours de Bourdieu sur l'Etat, Boltanski livre ce qu'on devrait sans doute lire d'abord comme sa contribution à la sociologie de l'Etat. Un essai passionnant qui vient tester au plan historico-sociologique des éléments théoriques proposés dans son ouvrage précédent, De la critique.Enigmes et Complots se présente comme «une enquête à propos d'enquêtes». Luc Boltanski y interroge le surgissement concomitant à la fin du XIXe siècle du roman policier puis d'espionnage, des sciences sociales et de la paranoïa comme pathologie. Et comment tout cela s'invente dans une forme de réaction à la mainmise de l'Etat sur la réalité.
Enigmes et Complots s’attache à un moment particulier, à la charnière des XIXe et XXe siècles, qui voit le surgissement d’enquêtes de genres très différents. Comment l’expliquer ?
C'est le produit d'une inquiétude, d'un nouveau type de regard porté sur le monde. Cette époque correspond à une forme d'apothéose de l'Etat-nation, une entité qui désormais tente, avec l'aide de la science