Nuit, le titre est exact. Empilement de corps, promiscuité intestine, trajets cent fois labourés, obscurité de l'esprit et du geste : «Fred est mort au milieu de la nuit. Deborah fut la première à s'en apercevoir. Elle monta aussitôt dans le dortoir pour réveiller Ranek, qui prit la lampe et la suivit dans l'entrée. Il tira le mort de sous l'escalier et posa la lampe par terre, tout près de la tête, de sorte que la lumière tomba sur le visage cireux. Ranek ne contempla pas longtemps son frère, mais pendant quelques secondes le temps sembla s'arrêter. Ce n'est pas lui, pensa-t-il, ça ne peut pas être lui ! Soudain, c'était comme s'il n'avait jamais vu de sa vie le visage d'un mort.»
Puis, parce que Fred possède une dent en or et que tous les habitants du dortoir seraient prêts à profaner le cadavre pour la lui arracher, c’est Ranek, son propre frère, qui défonce la bouche de Fred à coups de marteau pour récupérer la dent. Qu’il échangera contre un morceau de roquefort, et encore, pas très gros, car dans sa précipitation, il a brisé l’or et perdu une partie de son butin.
Bordel. C'est au ghetto de Prokov (Mogilev-Podolsk dans la réalité de Hilsenrath), en Ukraine, une ville occupée par les Roumains après la signature du pacte germano-soviétique et transformée en camp. Les Juifs qui risquent leur pas dans les rues se font rafler. Chacun cherche un abri. Le typhus décime la population. Le héros, Ranek, jeune déporté, «arrivé dès octobre 41»,