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Critique

Cachez ce sang qu’on ne saurait voir

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Le cahier Livres de Libédossier
Consentir à la violence, est-ce violence ? Marc Crépon analyse la scission entre éthique et politique
publié le 23 février 2012 à 0h00

Résister. Mais à quoi faut-il résister, pour ne point détourner le regard, passer son chemin, se dire que, de toute façon, «on n'y peut rien», s'enfermer dans le quant-à-soi, se murer dans la résignation ou l'indifférence, et laisser faire, laisser qu'autrui, mon frère, mon voisin, un inconnu, un groupe, une communauté entière, soient réduits à la misère, humiliés, soumis à la terreur, torturés, blessés, massacrés ? «Ce que nous savons de quiconque, de quelque appartenance qu'il se réclame, quelles que soient ses croyances et ses convictions, c'est qu'il se sait mortel et qu'il nous sait mortels, autant que ne le savons de lui et de nous - et ce que nous pouvons supposer, c'est aussi qu'il redoute la mort, pour lui et/ou ses proches, de quelque façon, toujours inégale, qu'il y soit exposé.»

Coexistence. S'il n'est pas de connaissance ni de sensibilité que nous ayons davantage en partage que le savoir de cette commune mortalité, et si un tel savoir immémorial, tenant à la condition même des hommes, transcende toutes les frontières qui les séparent (sociales, géographiques, culturelles, linguistiques, religieuses, politiques…), quelle autre force peut être assez puissante pour le neutraliser, pour annihiler le sentiment originel de coexistence et épuiser l'obligation morale «de l'attention, du soin et du secours qu'appellent de partout la vulnérabilité et la mortalité d'autrui» ? Pourquoi la plupart du temps n'a-t-on