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Libération
Critique

Connaissance d’une nation

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Le sociologue Abdellali Hajjat s’est installé dans un bureau des naturalisations
par Geoffroy de Lagasnerie
publié le 23 février 2012 à 0h00

Quand on se donne pour projet de décrire le processus de formation d’une nation, l’attitude traditionnelle consiste à se tourner vers les réalités les plus visibles : les traités politiques, les grands textes, les proclamations solennelles, etc. Ce sont ces actes spectaculaires qui contribueraient à faire d’un pays ce qu’il est, à en tracer les contours, à en façonner la culture, etc. Et si un tel point de vue ratait l’essentiel ? Si, pour comprendre la construction d’une nation, il fallait moins s’intéresser aux coups d’éclat des grands hommes qu’à une foule de petits actes ordinaires, quotidiens, accomplis par des agents anonymes d’une préfecture ou d’un ministère ? Telle est la conviction et même, pourrait-on dire, le coup de force qui anime l’ouvrage d’Abdellali Hajjat sur les frontières de l’«identité nationale».

Le sociologue part d'un fait méconnu : lorsqu'un étranger demande à devenir français, soit par le biais de la procédure de naturalisation, soit par déclaration après avoir épousé un conjoint français, le gouvernement peut ajourner ou refuser sa demande à cause de ce qu'il considère comme un «défaut d'assimilation». Par conséquent, il revient à des fonctionnaires du bureau des naturalisations, un service assez peu prestigieux au sein de chaque préfecture, d'évaluer la conformité des candidats aux «mœurs et usages des Français» (pour reprendre la formule des textes officiels) et leur «loyalisme». Ces bureaucrates sont donc chargés d'une