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Libération
Critique

Les champs du monde

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Inciter les sciences sociales à retrouver une vision globale, tel est le vœu du sociologue Bernard Lahire
publié le 22 mars 2012 à 0h00

Le livre s'ouvre sur une scène de télévision comme on n'en voit plus depuis des lustres. C'est le 21 décembre 1979, sur le plateau d'Apostrophes où Bernard Pivot reçoit l'historien Fernand Braudel, venu parler de la publication de Civilisation matérielle, économie et capitalisme, et le sociologue Pierre Bourdieu, qui vient alors de faire paraître la Distinction. Le second y adresse à mots couverts une critique cinglante de l'histoire de longue durée telle que pratiquée par le premier, y voyant paradoxalement une manière de renoncer à… l'histoire. Discutable sans doute mais passionnant et étayé comme doit l'être un vrai dialogue à l'intérieur des sciences sociales et humaines. Comme il l'était assurément à cette époque entre deux hommes étroitement associés au plus haut lieu parisien du métissage disciplinaire, l'EHESS.

Si Bernard Lahire choisit d'ouvrir son Monde pluriel par cette scène, c'est qu'elle paraît doublement inconcevable aujourd'hui : impossible de saisir un tel instant à la télévision, alors même que le nombre des chaînes a été multiplié par 100 ; inimaginable d'entendre un sociologue très connu s'en prendre aussi vivement à une star de l'histoire. Trente ans plus tard, les chercheurs de ce niveau n'ont plus droit de cité sur France 2 et, plus grave peut-être encore, historiens et sociologues ne se lisent plus avec le même appétit réciproque, pas plus qu'ils ne dévorent leurs collègues anthropologues, politistes, géographes, jur