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Libération

La mémoire des espèces en voie d’extinction

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publié le 7 avril 2012 à 0h00

On s'habitue à tout, y compris à la grande braderie en cours parmi les espèces. C'est bien normal : d'une part, on s'en bat l'œil, d'autre part, nous avons «oublié» ce qu'était la nature dans un passé pas si lointain. Dans la Grande Amnésie écologique, l'ornithologue et ingénieur écologue Philippe Dubois décrit un syndrome dont nous sommes tous frappés : le syndrome de la référence changeante («shifting baseline syndrom» en anglais). En clair, nous avons du mal à prendre la mesure de la dégringolade environnementale puisque nous avons oublié de quoi nous parlons. Dit autrement : je protège ce que je connais, pas ce que je n'ai pas connu.

Ce syndrome a été décrit dans un article scientifique datant de 1995 consacré aux pratiques de pêche et à la façon dont les chercheurs les appréhendent dans le temps. En général, les spécialistes travaillent sur l'état des stocks de poissons au démarrage de leur étude ou de leur carrière, leur cadre de référence remontant rarement plus de dix années en arrière. «A la génération suivante de chercheurs, les stocks se sont modifiés, mais c'est ce nouvel état qui sert de référence pour l'évaluation et la gestion des stocks de poissons», écrit Dubois. Les scientifiques décrivent alors une partie de la dégringolade, mais pas l'ensemble de la trajectoire.

Plus largement, nous sommes collectivement frappés d'amnésie en matière de biodiversité. «La réalité de notre impact passé - en bien comme en mal - ne cesse d'être oub