Les soldats de l'An II avaient la Marseillaise, viril chant guerrier promettant d'abreuver nos campagnes d'un sang impur ; les révolutionnaires l'Internationale et «ses damnés de la Terre». Russes, Anglais ou Américains glorifient dans leurs hymnes leur patrie sacrée. Etonnamment, l'armée la plus barbare du XXe siècle s'est choisi, elle, une bluette amoureuse pour accompagner sa marche de mort à travers l'Europe. Lili Marleen fut le chant du Troisième Reich, au grand dam des nazis, qui la jugeaient trop défaitiste et n'eurent de cesse de la rendre plus martiale en la faisant interpréter par des hommes avec force trompettes et roulement de tambours…
L'écrivain Jean-Pierre Guéno consacre «à ce premier tube planétaire» un petit essai joliment écrit. La chanson naît en 1915 : un jeune officier allemand écrit, un soir de blues, trois strophes d'un poème d'amour. Lili Marleen - en fait, les prénoms de deux jeunes filles dont le soldat était amoureux - s'appelle à l'époque la Chanson d'une jeune sentinelle et disparaît dans les cahiers du poète qui publiera, après-guerre, le livret dans l'indifférence générale.
Puis vient l'ère de la radio. La chanson est programmée pour la première fois sur les ondes le 18 août 1941. C'est le début d'une vague qui emportera en quelques mois le monde entier. Goebbels a beau jurer contre cette «juiverie sentimentale et décadente», le soldat assommé de fatigue, les mères, les fia