«Les hommes sont plus les fils de leur temps que les fils de leur père», affirmait le grand historien Marc Bloch. Ils peuvent être l'un et l'autre, aussi intensément, dans un enchevêtrement complexe, quand, dès leur plus jeune âge, ils sont pris dans les rais de l'histoire. Benjamin Stora a consacré une vie de recherche et plus d'une vingtaine d'ouvrages à la guerre d'Algérie. Né à Constantine en 1950, il a grandi et s'est construit enfant, de 4 à 11 ans, dans cette guerre de sept ans. Il garde gravés dans sa mémoire la saveur de la tfina, le plat des juifs de Constantine, des mots d'arabe dans la voix de sa mère, des pique-niques sur la plage et une grosse valise de drames familiaux. Les brûlures de la guerre, le silence pétrifié des parents, l'exil sans retour, le chagrin définitif. «L'arrachement», dont Stora dit que le mot résume, plus qu'aucun autre, les facettes multiples et contradictoires de cette guerre.
Dans son dernier ouvrage, il n'y a pourtant aucun pathos. «Mon travail d'historien, c'est de prendre de la distance par rapport à mes souvenirs personnels, mon cas individuel, pour raconter une histoire qui concerne les peuples de France et d'Algérie», et qui résonne encore si fortement aujourd'hui.
Stora appartient à cette toute petite poignée d'historiens dont la qualité des travaux a permis contre les vents contraires de l'oubli, «ces retours de mémoire», réguliers et toujours éruptifs. Cinquante ans après les accords d'