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Libération

Chatwin, signes de piste

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Lettres de l’écrivain anglais, collectionneur de vies lointaines
publié le 25 avril 2012 à 19h07

En mars 1983, le romancier australien Murray Bail emmène Bruce Chatwin dans les Montagnes bleues, près de Sidney. Il recule de quelques pas pour laisser le Britannique seul face au paysage, «comme on fait là-haut». Chatwin regarde une seconde, se retourne et dit : «Quel jour sommes-nous aujourd'hui ? La semaine prochaine, je serai au camp de base de l'Everest.» Grand écart, pieds ailés : Chatwin lie et relie, très vite, les instants, les personnages et les lieux. C'est le déplacement qui fixe, d'un geste, leurs qualités.

On publie la correspondance de l'homme qui ne tenait pas en place et qui était partout à sa place. Ce sont des lettres choisies. Certaines ont disparu, d'autres semblent indisponibles. Les destinataires sont sa femme, ses parents, des amants, de grands collectionneurs, des archéologues, des amis écrivains comme Salman Rushdie ou Shirley Hazzard, le cinéaste James Ivory. De nombreuses lettres rappellent son talent d'observation, révèlent sa fantaisie naturelle. Les meilleures ne sont pas forcément celles qu'il écrit à ceux qui deviendront célèbres. Les moins bonnes rappellent ce que disait Chatwin de Hemingway : «Même quand il est mauvais, il est intéressant.» Toutes se lisent avec une joie mélancolique, comme les promesses d'un homme que l'humanité n'a pas tenues : Chatwin est le dernier des écrivains planétaires d'avant cette grande réduction de conscience qu'il est convenu d'appeler mondialisation. Quand il s'en va quelque part, c