Les épopées manquent d'avenir, mais il faut les raconter. Pour écrire celle de l'Amérique de 1885 à 1915, ces années où immigrants et industries s'installent et se développent avec une puissance inconsciente et macabre, Charles Reznikoff choisit la composition et la compression poétiques. Le ton est anti-épique, sans réflexion ni effusion - comme on plante des colonnes nues entre l'usine, la voie ferrée, l'arbre à lynchage, le champ, le saloon et la morgue : «Je vois une chose. Elle m'émeut. Je la transcris comme je la vois. Je m'abstiens de tout commentaire. Si j'ai bien décrit l'objet, il y aura bien quelqu'un pour en être ému, mais aussi quelqu'un pour dire : "Mais, Bon Dieu, qu'est-ce-que c'est que ça?" Les deux ont peut-être raison.» D.H. Lawrence pensait que les faits, en eux-mêmes, sont aussi vides que l'Américain moyen, et il le prouvait. Reznikoff pense le contraire, et le prouve. Les deux ont peut-être raison.
Dans Témoignage, les objets que décrit Reznikoff sont les événements ordinaires de la vie criminelle et délictueuse américaine au tournant du siècle. Ils viennent des minutes de procès, mains courantes, déclarations qu'il a lues pendant des années, avec la minutie qui le caractérise. Ensuite, il les a mis en musique ; de la musique concrète. Son premier recueil, en 1918, s'intitulait Rythmes. Premier poème : «Les étoiles sont cachées/ les lumières sont visibles/ les grandes maisons noires ont l'air rangées./ Je frappe des poings/