Qu'est-ce qu'un étranger ? Question redoutable pour l'historien, lequel trop souvent commet un péché d'anachronisme en mobilisant les catégories actuelles définissant l'étranger comme l'autre, celui venu d'ailleurs. En étudiant le cas de Turin et des Etats savoyards au XVIIIe siècle, Simona Cerutti démontre avec brio le danger d'une telle projection et la nécessité de contextualiser ce statut grâce à un intense travail sur les sources juridiques, judiciaires et notariales et à une lecture attentive du langage tenu par les acteurs. Loin d'être comme aujourd'hui un monopole de l'Etat qui définit les règles de la nationalité, le statut d'étranger dépend en fait de l'inscription de l'individu dans les tissus sociaux locaux. «Ce qui définit ainsi l'étranger n'est pas la provenance mais plutôt un "déficit d'appartenance".»
Une caractéristique juridique commune à beaucoup de pays de l'Europe des Lumières, dont la France et le Piémont, est l'existence d'un droit d'aubaine, c'est-à-dire le droit pour les Etats de saisir les biens des étrangers morts sur leurs territoires. Les historiens y ont toujours vu le signe manifeste de l'hostilité dominante vis-à-vis des étrangers. Simona Cerutti réfute cette interprétation, faisant observer que la plupart des Etats, manquant de main-d'œuvre qualifiée, recherchaient au contraire la présence des étrangers et, surtout, que très peu des nouveaux arrivants sollicitaient des lettres de naturalisation alors qu'elles les auraient p