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Libération
Critique

Corrida-bouffe

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Le cahier Livres de Libédossier
publié le 11 juillet 2012 à 19h46

Qui était Don Tancredo ? De l'homme, Tancredo López, on apprend qu'il était cordonnier, ou maçon, un ouvrier un peu spécial, qui travaillait surtout à être sans travail, à «gagner sa vie sans métier et avec le bénéfice exclusif d'une souveraine oisiveté». Il n'avait donc qu'une chose à faire : ne rien faire, «rien face à la vie et, par conséquent, rien face à la mort». Mais «rien au sens strict, strictement rien - pas même bouger». Comment, de la sorte, trouver de quoi vivre ? Eh bien, en faisant que ne rien faire, ne point bouger, soit sinon un métier du moins une activité. Voilà que le señor López invente Don Tancredo. Et ce n'est pas rien ! «Si le XXe siècle a commencé pour les Français avec la tour Eiffel, pour les Espagnols, ce fut avec Don Tancredo». Il fallait le voir, à la plaza de Toros de Barcelone ou aux arènes de Madrid, tout de blanc vêtu, sur un piédestal, affrontant, «sans peur ni inquiétude d'en être atteint», trois, quatre jeunes et fougueux taureaux «de l'élevage réputé de Murcia» ! «El rey del valor», le roi du courage, le stoïcien de la corrida-bouffe qui, n'esquissant pas le moindre geste, hypnotise et désarme les taureaux, élevant ainsi l'immobilité au sommet de l'art tauromachique !

Don Tancredo métaphore de l'Espagne ? C'est ainsi que le considère José Bergamín (1895-1993), philosophe, essayiste, dramaturge, poète, qui, dans ce texte, extrait de l'Importance du démon et autre