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Libération
Critique

Histoire littéraire

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Le cahier Livres de Libédossier
publié le 11 juillet 2012 à 19h46

Bâti en 1817, le Grand Hôtel du parc d'Aix-les-Bains existe toujours. L'ancien palace pour curistes dispose encore de «trois cheminées et de trois cocottes». C'est ici qu'à l'été 1930, l'Américaine Willa Cather rencontre une vieille dame charmante et farouche, qui brave la chaleur pour aller chaque soir à l'opéra, et regrette que celle-ci n'en fasse pas autant. Son anglais est excellent. Elle dit à l'auteure de Mon Antonia : «Les jours baissent déjà, et l'on a besoin d'aller au spectacle», puis se corrige, agacée : «Ah, qu'aurais-je dû dire? "Baisser", ce n'est pas le mot, mais je n'ai pas souvent l'occasion de parler anglais.» Cather remarque que «baisser» n'est «ni trop livresque ni trop littéraire», qu'elle l'a entendu «dans la bouche de quelques vieux fermiers du Sud». «Ainsi, répond l'autre, lorsqu'un mot est employé par des fermiers, on peut s'y risquer ?» C'est bien ce que voulait dire Cather, et les deux femmes deviennent amies.

Ce livre d'une infinie délicatesse regorge de petites scènes americano-proustiennes de ce genre, qui révèlent le lien sensible et profond entre l'art et la vie. On finit par apprendre que la vieille dame n'est autre que Caroline, nièce de Flaubert, qu'il aimait tant et à qui il écrivit : «Oui, ma chérie, je déclare que j'aimerais mieux te voir épouser un épicier millionnaire qu'un grand homme indigent.» Le mari de Caroline ruina Flaubert et Willa Cather dévoile une héritière digne du génie que son oncle lui a communi