Thomas Pynchon a fait coup double. Non seulement il a réussi, depuis la parution de ses premières nouvelles dans les années 50, à rester tapi, mais encore, plus les années passent, moins il est lu, si bien qu’au fil des décennies il est de plus en plus secret, de plus en plus imperceptible.
Les lecteurs officiels, qu’on appelle les critiques, se fatiguent. Ils reconnaissent qu’ils lâchent ses livres bien avant la dernière page. C’est un aveu rare, sans forfanterie aucune. Et d’ailleurs, soudainement, en voyant la pile, on se demande à qui on pourrait bien offrir ces exemplaires de romans de Thomas Pynchon en version française qu’on a rachetés par esprit de sérieux, il y a quelques jours.
«Une baleine blanche, un serpent de mer»
Qui sera heureux, le jour de son anniversaire, de recevoir à la fois Vice caché, Vineland, et V. ? «Le désert envahit la terre de l'homme subrepticement», écrit Pynchon. «Bientôt, il n'y aura rien. Bientôt, le désert, seulement.» C'est dans V., son premier roman, paru en 1963, l'un des plus commentés. Il a l'aura du grand écrivain américain qui raconte l'Amérique. Cette place est toujours occupée aux Etats-Unis, rarement en France, où il semblerait qu'on ait moins besoin de désigner un grand narrateur de l'histoire française. Le dernier à la lui avoir disputée est Jonathan Franzen, lors de la sortie, il y a un an, de Freedom - titre non traduit, sans doute le mot est-il universel.
Il n'y a pas besoin de se pencher beaucoup pour piocher une brassée de