Aujourd'hui, quand un livre évoque la maladie ou la mort d'un «proche», quand il parle d'une souffrance ou d'une perte, c'est généralement avec des phrases pauvres, courtes, ennuyeuses, sur un ton d'emphase muette que l'ordinaire du public qualifie en s'extasiant de sobre et pudique. L'idée, c'est que les grandes douleurs, il ne faut surtout pas faire de «phrases» avec. Ne comptons pas sur Cécile Guilbert pour jouer de ce violon d'époque à une corde. Elle n'affiche aucun lys de fausse modestie, aucune syntaxe à profil bas. Elle écrit : «L'habitude est un oripeau qui tombe comme un corset délacé au plus fort de l'étreinte.» Réanimation raconte de quelle façon l'habitude d'être, la sienne, tombe au plus fort de l'étreinte, inattendue et peut-être fatale, de la mort.
Mendiants. S'appuyant sur son journal, le recopiant ou non, elle décrit comment elle a vécu, du premier au dernier jour, le coma soudain et incertain de l'homme qu'elle aime, avec qui il lui arrive de travailler, et qui est son mari depuis vingt ans. Mais elle ne l'écrit pas comme la plupart des autres. Cécile Guilbert subit une épreuve qui n'est pas du tout son genre : elle déteste les hôpitaux, les plaintes, les douleurs, les deuils. Elle fait profession esthétique non pas de les refouler, mais de les chasser comme des mendiants hideux et larmoyants. Il ne s'agit donc pour elle ni de s'apitoyer en douce ni de montrer en creux sa souffrance : il s'agit au contraire de réfléchir à