Menu
Libération

Un roi de l’évasion

Article réservé aux abonnés
publié le 3 octobre 2012 à 19h06

Un événement absolument inédit dans l’histoire de la littérature a été sur le point de se produire vendredi, au pied des Alpes-de-Haute-Provence. Dans le cadre des Correspondances de Manosque, automnal festival, Serge Joncour était exposé à la curiosité publique, parlant sur une estrade de son dernier livre devant 200 ou 300 personnes. Joncour est un des écrivains qui parle le mieux de l’écriture, en tout cas de la sienne, avec un mélange efficace de sincérité et d’humour. Hoquetant des bouts de phrases dont on ne savait jamais si elles allaient s’achever dans un sanglot ou dans un rire, il disait qu’on écrivait pour ses parents, contre ses parents. Pour rester leur enfant, pour cesser de l’être. Il disait les barreaux qu’il faut scier à la lime à ongles pour s’échapper du domicile familial, puis les blessures que l’on s’inflige sur l’acier aux angles encore vifs lorsque l’on revient, lorsque l’on repart, même des années plus tard. Il ne le disait pas exactement avec ces mots-là, mais c’est ce que l’on comprenait.

D'ailleurs il ne parlait pas de lui mais de Franck, le héros (si l'on peut dire) de l'Amour sans le faire, tout juste paru chez Flammarion. Car là sont le jeu et l'art du roman : on translate, on extrapole, on homothétise. Or soudain, patatras ! Au moment des questions, une spectatrice se lève et lance à l'auteur, via un micro HF : «Et vous, vous en êtes où avec vos parents ?» Tout l'édifice, tout l'artifice de la fiction s'effondrait en l'espace d