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Libération
Critique

Troubles de la perception

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Le cahier Livres de Libédossier
Visions d’un centre des impôts américain, roman inachevé de David Foster Wallace
publié le 17 octobre 2012 à 19h07

Comment rendre l'ennui dynamique dans une société qui n'en veut pas ? Au début de ce siècle, l'écrivain américain David Foster Wallace, 40 ans et bientôt mort, trouve que la question mérite d'être posée. Il se la pose en romancier, car elle est existentielle : «Pourquoi l'ennui se montre-t-il une barrière si efficace contre l'attention. Pourquoi l'ennui nous répugne-t-il. Peut-être car l'ennui est intrinsèquement douloureux.» Et il se la pose en citoyen, car elle est politique : «Une des grandes et terribles découvertes de la démocratie moderne» est que «si l'on peut rendre les questions sensibles de gouvernance suffisamment ennuyeuses et obscures, les officiels n'auront plus besoin de les dissimuler car, sauf à être directement concerné, personne n'y prêtera assez d'attention […] car personne ne s'y intéressera à cause […] de l'ennui monumental de ces questions».

Avorton. Foster Wallace ne parle pas de la technocratie européenne, mais de l'administration fiscale américaine. Il y a travaillé en 1985-1986, comme «contrôleur de routine», à Peoria dans l'Illinois. Il avait pris ce poste pour être momentanément exempté du remboursement d'un écrasant prêt étudiant. A l'université, afin d'améliorer l'ordinaire, il écrivait les copies de compagnons moins doués et mieux dotés. L'un d'entre eux deviendra vice-président de l'université. Quant au nègre, on l'a viré.

Le Roi pâle est l'énorme avorton né de cette expérience dans l'administration