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Critique

Ouvert la nuit

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Tableaux de la misère parisienne en 1926, par le Suisse Ludwig Hohl dans sa jeunesse bohème
publié le 24 octobre 2012 à 19h07

Inutile de chercher Hemingway ou Soutine à la Rotonde ou, plus tard dans la nuit, au Select : ils sont quelque part par là, mais pas dans le journal de Ludwig Hohl (1904-1980). Paris 1926 cite un seul contemporain célèbre, que le jeune Suisse, poète de son état, écrit Fougita au lieu de Foujita. Autour de Hohl, qui a 22 ans, gravitent une pianiste discrète (Gertrud, sa compagne) et des artistes en attente de notoriété, pauvres au point de n'avoir pas où dormir et de porter la même chemise pendant un mois et demi. Celui-ci est «tellement pâle qu'on le croirait vert». Tel autre est marié avec une baronne de vingt ans son aînée, petite, solide, «et le regardant de bas en haut comme pour le protéger au cas où un danger lointain qu'elle ne voyait pas le guetterait».

Notre jeune poète, exilé un temps à Paris, car il est «horrible pour un Suisse, d'un point de vue intellectuel, de rester dans son pays», remplit ses cahiers de notes, d'esquisses, de «motifs». Il s'évertue à bannir l'autobiographie comme la psychologie. Ne veut-il pas «étudier la structure générale» des individus ? Ses descriptions sont si réussies, si frappantes, qu'on le dirait volontiers peintre, comme ses compagnons. Il cherche à saisir le mouvement, à «fixer tous les phénomènes» qu'il rencontre au cours de leurs pérégrinations nocturnes. Mais il constate bientôt que, contrairement à ce qu'il croyait, ce ne sont pas vraiment des tableaux qu'il voit. Et