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Libération

L’énarque défroqué

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publié le 2 novembre 2012 à 19h26

Voilà un diplômé frais émoulu qui ose cracher dans la soupe. Un téméraire pas vraiment anarchiste, sorti avec les honneurs de l’ENA, qui déballe tout. Pour mesurer l’audace d’Olivier Saby, il faut constater qu’en soixante-sept ans de l’histoire de ce temple de la fonction publique, aucun de ses congénères n’avait enfreint la bonne convenance d’une institution définitivement étrangère à la critique ou à l’examen de conscience.

Un diplômé de l’Ecole nationale d’administration ne parle pas, pas plus qu’un évêque n’oserait s’en prendre à Rome. Parler, c’est se comporter comme un défroqué et précipiter sa chute. Cet élève-là n’avait pourtant aucune prédisposition pour le suicide social. Fils de psychanalyste et d’ingénieur multidiplômés, Saby ressemble à ces candidats de l’élite qui ne demandent qu’à croire à leur destin de privilégiés. Mais après s’être infligé deux ans d’un sévère bachotage, puis un marathon de quatre mois d’épreuves, notre futur énarque tombe de haut. L’indigence pédagogique, les ravages d’une culture sauvage du classement, la mesquinerie des rivalités, l’indifférence à tout ce qui lui est étranger, le conformisme technocratique érigé en règle d’or, jamais l’envers du décor n’a été ainsi décrit par le menu. Un réquisitoire mené l’air de rien et nourri des anecdotes du quotidien de la promotion Robert Badinter qui dessinent peu à peu un tableau accablant. Saby a tenu le journal de bord de ses vingt-sept mois passés à l’ENA, un voyage rédigé comme une tragicomédi