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Libération
Critique

Derrida, chaire électrique

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Séminaire sur la peine de mort, première partie
publié le 14 novembre 2012 à 20h56

Mors certa, hora incerta, dit-on. La mort est certaine, mais pas l'heure de sa venue : telle est la fortune des hommes, qui mourraient d'ennui s'ils se savaient immortels, et qui au contraire, sachant indéterminée l'échéance future, donnent signification et valeur à leur vie. Aussi semble-t-il proprement inconcevable qu'on puisse donner la mort. Non pas se donner la mort, car, aussi difficile que ce soit, on peut toujours comprendre qu'au faîte du désespoir, le suicide soit une manière de signer l'absence de sens de son existence ou de lui en donner un qui, rétrospectivement, l'éclaire tout entière. Ni provoquer volontairement la mort de l'autre, assassiner donc, de la façon la plus subtile ou la plus sanglante - car la victime ne la voit pas «venir» comme péremption, écoulement d'un délai déterminé. Mais donner la mort comme on donne un tragique rendez-vous, en la prescrivant à l'avance, c'est-à-dire en fixant, à l'aube d'un matin glauque, la date et l'heure de sa venue. Mors certa, hora certa : de cet «impossible», de l'impossibilité d'une mort exceptionnellement décidée, «arrêtée par un arrêt de justice», mise en scène et exécutée, le pouvoir d'Etat a pourtant fait sa condition de possibilité, le paradigme de la «décision souveraine» par laquelle il devient justement Etat.

«Bruit qui court». A la peine de mort, Jacques Derrida a consacré, outre son enseignement aux universités de Califo