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Libération
Critique

Marion des sources

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Itinéraire du philosophe qui préfère la pensée du don à celle de l’être
publié le 21 novembre 2012 à 19h02

S'il fallait citer un signe distinctif, on choisirait le nœud papillon. Il le porte de façon assez casual, et ce qu'il évoque, la tradition, le classicisme, l'élégance, l'originalité, la fantaisie, ne lui messied pas - l'autorisant à parler avec la même passion de cyclisme et de phénoménologie, de sports mécaniques et de théologie, de base-ball et d'érotique de la chair. Mais ce qui fait Jean-Luc Marion, ce n'est pas l'habit, bien sûr, mais l'œuvre, une œuvre considérable (1) qui le classe parmi les plus grands penseurs français. Cette œuvre, dont la première pierre, en 1975, fut Sur l'ontologie grise de Descartes, n'est pas d'un accès aisé, bien que le style d'exposition en soit limpide. Aussi faut-il se réjouir que, malgré de bonnes «raisons de s'abstenir», le philosophe se soit décidé à publier un livre d'entretiens, la Rigueur des choses, dans lequel, soumis aux questions du jeune cartésien Dan Arbib, il expose de façon très vivante les étapes de son itinéraire, tout en déliant les principaux «nœuds» de sa pensée.

«Obscure évidence». Le chemin de Damas de Jean-Luc Marion, c'est une allée du jardin du Luxembourg, à Paris. Il est alors en hypokhâgne, au lycée Condorcet, et a comme une révélation ou l'intuition d'une «obscure évidence» : la «question de l'être» n'est pas première. «Je n'en suis pas pour autant tombé en catalepsie, mais cela m'a frappé peut-être comme l'arbre de Sartre.»