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Libération
Critique

Le Brésil, terre de vers

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Le cahier Livres de Libédossier
Anthologie bilingue d’une poésie libérée du modèle occidental, et d’autant plus confondante
publié le 5 décembre 2012 à 19h06

«Tupi or not Tupi that is the question.» Effronterie pure qui fait de l'anthropophagisme culturel le broyeur implacable des plus solides inhibitions. On la doit au poète Oswald de Andrade, dans son manifeste culte de 1928. La poésie brésilienne entrait alors dans la modernité, emboîtant une fois de plus le pas à la vieille Europe, mais cette fois-ci les coudées franches. Elle prend enfin un malin plaisir à déglutir l'héritage étranger sans arrière-pensée, à mastiquer allégrement tous les -ismes passés, présents et futurs, sans plus se soucier de savoir si elle sera taxée de littérature de première main ou de seconde zone. Pour tailler dans le vif cette beauté fraîche et changeante, les poètes revendiquent leurs propres «dentitions» qui, à l'instar de leurs ancêtres indiens tupi-guarani dévorant l'ennemi blanc pour en acquérir les vertus, ne feront qu'une bouchée du modèle occidental. Sous couvert de primitivisme sauvage, l'intuition reprend ses droits particuliers et Oswald de Andrade, en tenant la sujétion culturelle au collet, la remet à sa place et en bonne perspective : «Seul m'intéresse ce qui n'est pas à moi. Loi de l'homme. Loi de l'anthropophage.»

Par un juste retour des choses, c'est désormais au lecteur français de se prêter au jeu de l'assimilation de l'Autre, en l'occurrence quatre siècles de poésie réunis pour la première fois dans une copieuse anthologie bilingue. Tout comme Oswald de Andrade, dans l'ardeur de son cannibalisme littéra