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Libération
Critique

Rolland dans la mêlée

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Le cahier Livres de Libédossier
Journal de guerre d’un champion du pacifisme, visité par sa propre mort
publié le 5 décembre 2012 à 19h06

Le 19 octobre 1943, à Vézelay dans l'Yonne, zone occupée, un vieil écrivain apprend sa mort en écoutant Radio Alger. Il s'appelle Romain Rolland. Il a 77 ans, sa gloire est faite et il lui reste un an à vivre. La nouvelle est reprise par d'autres radios, par les journaux parisiens. Ça fait quoi, d'être mort-vivant dans un pays plus mort que vif ? «Les amis sont en émoi, note-t-il. Pluie de télégrammes et de téléphones. Il faut ensuite les consoler. Mais ils sont pressés. Il y en a qui se préoccupent déjà des obsèques […]. Les Vézeliens eux-mêmes, qui ont toutes les raisons de savoir que je suis vivant, lisant ma mort dans les journaux, ne sont plus si sûrs…» Dans la France occupée, rumeurs et fausses nouvelles devancent les désirs et alimentent les passions. Rolland note tout ce qu'il lit ou entend, pour mémoire. En juin 1940, l'ancien chef du gouvernement Paul Reynaud, «le petit corbeau funèbre», est «en fuite, dit-on, déjà passé en Amérique par le Portugal. On lui prête, au Mexique, de grands biens. Les caricatures allemandes le représentent en Siamois». Reynaud n'est ni en Amérique ni au Portugal. Le 5 septembre, il sera interné.

Depuis le clocher de la «colline inspirée», 400 habitants, le Journal de Vézelay de Romain Rolland a pour premier mérite de restituer en détail une existence quotidienne pendant la guerre, cette atmosphère où chacun vit entre silence, pénurie, réquisitions, désespoir et corbeaux. C'est d'abord un formid