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Critique

Roman de la plus haute «Tour»

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Uwe Tellkamp déploie les pouvoirs de la fiction pour révéler le portrait d’une Allemagne disparue
par Ricardo Menéndez Salmón, (Espagne) (Traduit de l’espagnol par Philippe Lançon)
publié le 19 décembre 2012 à 19h06

Parlons de théorie littéraire. Dans une interview donnée à un quotidien espagnol à l'occasion de la publication de son dernier roman, Freedom, l'Américain Jonathan Franzen réfléchissait aux pouvoirs de la fiction : «Il y en a qui affirment que la non-fiction nous donne tout ce que le roman peut donner, si bien que nous n'aurions plus besoin de romans, mais il y a des choses que la fiction fait mieux que n'importe quel autre moyen. L'accès à la vie intérieure des autres, avec toute la richesse des nuances, voilà quelque chose que seule la fiction peut donner. La nécessité de présenter des points de vue différents des siens fait qu'on doit abandonner tout absolu moral. C'est pourquoi la complexité morale est une sorte de seconde peau pour l'écrivain de fiction.»

Frisson. Il est impossible de lire ces lignes sans penser à Dostoïevski ou Tolstoï, à leur capacité de développer dans leurs romans l'univers de l'action et de la raison humaine, avec ses désirs, ses échecs et ses triomphes. La leçon de la littérature du XIXe siècle, c'est peut-être qu'elle nie toute prérogative absolue, toute tentation de parler depuis une vérité unique et consacrée, pour montrer, dans toute son intensité dramatique, les aventures du sujet qui jouit et endure. Quand, dans les Frères Karamazov, Dostoïevski peut justifier l'athéisme et la foi dans le même chapitre, ou quand, dans Guerre et Paix, Tolstoï peut défendre la révolution et l'ordre