Une femme, comment fait-elle pour vivre et pour écrire ? «J'ai vécu la douleur comme un état, en quelque sorte, inhérent à l'être féminin, répond Marguerite Duras à Leopoldina Pallotta del Torre. Comme toutes les femmes, je me suis ennuyée, fatiguée, près d'hommes qui me voulaient près d'eux pour se reposer de leur travail ou pour me laisser à la maison. Et c'est là, à la maison, dans la cuisine, souvent, que j'ai écrit. Je me suis mise à aimer le vide laissé par les hommes qui sortaient.» Ce vide a été laissé par bien d'autres choses dans la vie de l'écrivain. Il est là, partout, de souvenirs en oublis. C'est en lui qu'elle s'aventure, qu'elle cherche sa parole, comme un plongeur sous la banquise : «Ce qu'il y a de douloureux tient justement à devoir trouer notre ombre intérieure jusqu'à ce que se répande sur la page entière sa puissance originelle, convertissant ce qui par nature est "intérieur" en "extérieur". C'est pour ça que je dis que seuls les fous écrivent complètement. Leur mémoire est une mémoire "trouée" et toute entièrement adressée à l'extérieur.»
Des entretiens, l'auteur de l'Amant en a beaucoup donné dans sa vie. Ceux qu'elle accorde en 1987 à la journaliste italienne n'ont pas pour seule vertu d'être oubliés en Italie et inédits en français. Ils concentrent et permettent de mieux saisir en treize chapitres, par chronologie et par thèmes, une vie à l'œuvre. Il est question de sa mère, de ses frères, de l'amant, de l'Indochine, du Parti commu