En 778, après une expédition en Espagne, Charlemagne revient en France. Une partie de son arrière-garde est victime d'une embuscade, sans doute de la part de Basques peut-être liés aux Arabes, dans un col dont nul ne veut se rappeler le nom, et qui deviendra Roncevaux. Vers 1086, cette escarmouche, nourrie par trois siècles de chants et de colportages, se fixe dans un manuscrit, aujourd'hui à Oxford, qui ne sera intitulé qu'au XIXe siècle la Chanson de Roland : la défaite de 1870 fait de cette petite déroute une épopée nationale.
Lire ou relire ce poème de 4 002 vers répartis en 291 laisses, c’est être saisi par la simplicité et la force de ces décasyllabes, mais aussi, comme toujours en littérature, réviser ses préjugés. Roland, qui n’a sans doute jamais existé, n’est pas la brute que sa postérité proclame, mais un orgueilleux mélancolique. Son ami Olivier, le sage qui tente de le raisonner, est lié à lui par une amitié sublime et agitée. Le traître Ganelon est d’abord un négociateur courageux. Les Sarrasins, quoiqu’ennemis et mécréants, sont d’un courage aussi admirable que les Francs. Quant au sacré Charlemagne, c’est un héros bien fatigué. La guerre, il n’en veut plus.
Après tant d'autres, Frédéric Boyer, 51 ans, traduit cette première source écrite de notre langue. Il la suit de près, dans la forme et dans le rythme, sans ponctuation, avec l'austérité elliptique, comprimée, qui caractérisait sa traduction des Sonnets de Shakespeare (P.O.L). Pa