Les lecteurs du dimanche ne comprenaient rien à Krazy Kat. C'était les années folles, le magnat William Randolph Hearst maintenait cette BD délirante dans les colonnes de son New York Evening Journal par plaisir, par tête de mule, par amour de l'art.
Critiques et créateurs, en revanche, étaient fans de Krazy, chat asexué inexpugnablement amoureux d'Ignatz, une souris qui lui jette des briques à la tronche, le tout sous l'œil d'un chien-flic nommé Pupp. En 1922, le musicien John Alden Carpenter compose un ballet très post-Satie (façon Parade) sur Krazy Kat. Quatre ans plus tard, le critique d'art Gilbert Seldes élève Herriman (1880-1944) au rang des expressionnistes et, en 1946, c'est au tour du poète E.E. Cummings de livrer un texte terminal sur la démocratie et les pingouins en faisant de Krazy une reine de l'«idiotie», c'est-à-dire de la singularité : «Ce mélodrame burlesque et météorique consiste en une lutte entre la société (l'officier Pupp) et l'individu (Ignatz Mouse) à propos d'un idéal (notre héroïne) - une lutte d'où, toujours et encore, émerge un fait étonnant : à savoir que l'idéal de la démocratie ne se réalise que si et seulement si la société ne parvient pas à supprimer l'individualité.»
Dans les planches, Krazy Kat et ses acolytes évoluent dans des décors totalement lunaires et limite abstraits, du genre qu'on retrouvera dans les expérimentations des années 60 (Fred, en France). Moins purement cinématique qu