On les a vus, depuis deux décennies, après la chute du Mur, prendre le dessus. Les hamsters. Dans leur roue, sans s'arrêter, comptant les tours comme s'ils allaient quelque part. A l'école, à l'hosto, dans les journaux, partout où la société prend soin d'elle-même, ils évaluent, comptabilisent, à tous les niveaux, et tombent toujours juste. Simplement, comme le dit Roland Gori, «le monde n'est plus là» avec lequel il aurait fallu en réalité compter. Et il les appelle «les imposteurs». Ce ne sont pas les nouveaux maîtres, au contraire : nous sommes tous potentiellement hamsters dans la «prolétarisation matérielle et symbolique généralisée» qui caractérise le libéralisme sans partage. Mais seuls les plus creux et les plus dociles réussissent désormais, c'est-à-dire échouent à se recréer.
Cocktail. Psychanalyste, professeur émérite de psychopathologie à l'université d'Aix-Marseille, inspiré de Winnicott, Roland Gori travaille depuis longtemps sur les «techniques de subjectivation» chères à Michel Foucault, autrement dit sur la façon dont les sociétés fabriquent leurs sujets. La nôtre produit des individus totalement «adaptés» à leur servitude et désespérément vides, en proie à la croyance que s'ils s'arrêtent de tourner, de vérifier, de cliquer, d'emmagasiner, le système va s'écrouler, ce qui génère chez eux à la fois angoisse et sentiment d'importance. Et comme leur servitude est volontaire, ils