Du haut de la librairie d'à côté, un siècle de littérature nous contemple, qui nous a vus passer de la madeleine proustienne au rôti de porc iacubien, et du «faut-il écrire couché ?» pour faire aussi subtil que Marcel au «faut-il coucher ?» pour faire aussi raide que Marcela. C'est un cheminement intéressant, sur lequel l'anthropologie aura probablement plus à dire que la théorie littéraire. «Je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j'avais laissé s'amollir un morceau de madeleine», écrit Proust, exposant les prémisses d'une expérience qui allait induire de fameuses réminiscences ainsi qu'un «plaisir délicieux». A quoi Marcela répond que porter à ses lèvres une solide tranche de jambon («tomber amoureuse d'un porc») a été «l'expérience la plus poétique, la plus dense, la plus cruelle, la plus belle, la plus puissante» de sa vie. Mettez-vous à la place de l'écrivain de 2113 qui aura à prolonger la série et, donc, à trouver les moyens d'atteindre de nouveaux sommets dans l'extase : ce ne sera sans doute pas avec des coquillettes au beurre.
Mais pendant qu'ici nous invoquons la vénérable figure de Marcel, Antoine Compagnon continue, lui, chaque mardi soir au Collège de France, d'évoquer «Proust en 1913» (titre de son cours), laissant à ses successeurs du siècle prochain la rude tâche d'autopsier «Iacub en 2013». La semaine dernière, Compagnon a commencé par se demander : il y a cent ans, les premiers lecteurs de Du côté de chez Swann