Aucun empire du Vieux Monde ne fut à la fois aussi étendu dans le temps et dans l'espace que celui des Ottomans, sinon celui de Rome, dont Mehmet le Conquérant, après la prise de Constantinople, se revendiqua d'ailleurs l'héritier. Dès le XVe siècle, les Ottomans instaurèrent la première ébauche d'administration moderne avec un corps de fonctionnaires permanents et une armée de métier, composée en bonne part d'enfants raflés dans les populations non musulmanes puis convertis et éduqués pour le service de l'Etat. Symbole de l'islam sunnite, dirigé par des sultans-califes, cet Empire fut néanmoins aussi une réalité multiconfessionnelle inscrite dans la continuité de Byzance. Par leur capacité de synthèse et leur adaptabilité, les Ottomans peuvent être considérés comme les Romains du monde musulman.
C'est cette construction étatique à nulle autre pareille qu'étudie Hamit Bozarslan avec une approche sensiblement nouvelle, y compris dans son choix d'aller jusqu'«à nos jours». Il veut montrer les continuités entre le monde ottoman, notamment après les réformes du milieu du XIXe siècle puis l'arrivée au pouvoir au début du XXe siècle des «Jeunes Turcs», et la Turquie républicaine fondée par Mustafa Kemal après la Première Guerre mondiale. «La fondation de la République de Turquie en 1923, dont il ne s'agit nullement de nier la radicalité, n'est pas considérée ici comme la rupture majeure de l'histoire ottomane-turque tant elle puise ses