La romancière allemande Juli Zeh s'est fait connaître en France il y a quelques années par un remarquable roman, la Fille sans qualité (1), portrait au sabre d'une adolescente cérébrale et ténébreuse, aux passions aussi distantes que rentrées. Cette jeune auteure - pas encore 40 ans - est aussi une intellectuelle qui réfléchit sur les libertés individuelles comme sur l'éthique animale. Juriste de formation, elle a écrit plusieurs essais, dont le dernier traduit en français porte sur l'obsession sécuritaire (2). Elle parle ici de l'engagement possible de l'écrivain dans la société et plus généralement en politique.
Etre écrivain et «penseur», est-ce le même «métier» ?
L'écriture de romans est pour moi une tout autre activité que celle d'essais ou de textes politiques. L'impression que j'ai, c'est de faire ça avec deux cerveaux différents. Dans mon roman Corpus Delicti,j'ai pour la première fois réuni ces deux métiers. Cela n'a été possible que parce que l'ouvrage a été d'abord une pièce de théâtre. Pour la scène, il m'a paru plus facile d'allier rhétorique politique et langage artistique.
Une fiction peut-elle incorporer une théorie ? Existe-t-il une littérature «qui pense» ?
Il y a effectivement une «littérature qui pense». Un roman peut, par exemple, être tout entier dédié à une certaine idée philosophique. Toutefois, je dirais que la qualité esthétique en souffre, dès lors qu’il ne s’agit plus uniquement d’une idée, mais d’un message politique. Pour ma part, je pourrais imaginer un bon roman qui partirait de l’idée que l’homme est incapable de faire la distinction entre fiction et réalité, ou qu’i