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Analyse

Le goût amer de la madeleine est-allemande

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Depuis la réunification, les écrivains de l’ex-RDA explorent le monde d’avant et donnent à lire ce qu’il peut en rester. Une «littérature de transition» qui reflète la complexité de notre propre rapport au passé.
publié le 21 mars 2013 à 19h46

En 1995, tandis que Christo emballe le Reichstag, on célèbre le futur nouveau Berlin sur l'avenue Unter den Linden. Deux vers du Cygne de Baudelaire, poète jadis traduit par le juif berlinois Walter Benjamin, servent de slogan : «La forme d'une ville change plus vite, hélas ! que le cœur d'un mortel.» A un détail près : «hélas !» a disparu. Vingt-trois ans après la réunification, ce mot manquant résonne comme un écho réprimé dans la littérature allemande, avec toutes les nuances qu'on peut lui attribuer sans qu'aucune puisse l'emporter sur les autres : regret, nostalgie, critique, tristesse, soulagement, inventaire, réflexion, remémoration, remémoration de remémoration. C'est le «hélas !» de Hamlet contemplant le crâne de Yorick, bouffon d'enfance, sauf que cette fois, ce crâne, c'est aussi le sien.

L’Allemagne ayant décidé d’oublier un peu vite sa vieille hémisphère mi-rouge, mi-grise, cette RDA à la culture si spécifique, caractérisée par tant de pratiques et de règles, tant d’auteurs et d’athlètes, la littérature se charge de remettre sa madeleine à la margarine sur la table du festin occidental déclinant. Elle la fait goûter, la décrit, l’analyse, l’émiette dans le Coca et le thé. Une bonne génération a passé. Le travail se renouvelle, souvent à Berlin, confortable nombril international de cet outre-monde. On parle de «littérature de la transition» - mais quelle transition ? Tantôt c’est le monde d’avant qui est directement décrit ; tantôt le mo