Sur le blason de l'Université libre de Bruxelles où enseigne Isabelle Stengers, on voit un ange terrassant un dragon. L'image est accompagnée d'une devise : «Scientia vincere tenebras». «Vaincre les Ténèbres par la Science». Noble exigence, qui définit l'horizon dans lequel le savoir occidental s'est construit. Et qui instaure l'image d'une lutte entre la Lumière et l'Obscurité, la Raison et l'Opinion. Mais quelle est l'actualité de cette scène aujourd'hui ? Où se situe la «science» et où sont les «ténèbres» ? Et, plus important : l'opposition ainsi tracée entre deux pôles distincts est-elle encore pertinente ?
L'ouvrage d'Isabelle Stengers s'inscrit dans le champ des études qui s'inquiètent de la normalisation croissante des univers scientifiques contemporains : depuis une dizaine d'années, des réformes néolibérales ont installé une «économie de la connaissance» qui instaure une gestion managériale de la recherche : valorisation de la compétition au détriment de la coopération, promotion des projets «rentables» et de «court terme» au détriment des projets de long terme, etc. Autant de transformations qui aliènent l'autonomie des savants. L'intérêt de la position d'Isabelle Stengers est de ne pas se contenter de ce diagnostic : les évolutions inquiétantes des mondes académiques ne trouvent pas uniquement leur origine dans des forces externes à «la Science».
Elles s’enracinent en partie dans les pratiques des chercheurs eux-mêmes. Stengers s’