AWilno (Vilnius) en Lituanie, les lois nazies précisent que «les femmes juives ne doivent pas se teindre les cheveux ou se mettre de rouge à lèvres», qu'elles «n'ont pas le droit d'accoucher» («Si une femme donne naissance à un enfant, elle sera tuée avec le nourrisson»), que «les Juifs n'ont pas le droit de porter une moustache», qu'il est interdit «de manger gras», «de prier ou d'étudier», et, l'extermination étant une cérémonie dont les rituels et didascalies sont faits pour exclure toute forme d'humanité, «de faire entrer des fleurs dans le ghetto».
Mais, dans les planques que les «captureurs» n'ont pas encore trouvées, les femmes continuent d'accoucher, les enfants d'étudier, et les fleurs d'entrer. Zalman Titkin, «un garçon de 16 ans qui avait perdu père et mère lors de la première rafle», rapporte ainsi pour une soirée littéraire un bouquet de l'extérieur, clandestinement, «puisqu'on pouvait recevoir vingt coups de fouet pour avoir été trouvé en possession de fleurs». C'est le survivant Avrom Sutzkever, poète de 28 ans et membre de la Résistance juive dans le ghetto, qui raconte. C'est lui qui organise cette soirée. «Ce n'était pas des fleurs ordinaires, se souvient-il. Elles avaient poussé sur la tombe des frères Gordon, qui avaient été déchiquetés par une bombe dans le dépôt de munitions où ils travaillaient.» Les frères Gordon se sont sacrifiés pour faire exploser le dépôt