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Libération
TRIBUNE

La non-poésie des non-poètes

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par Martin Rueff, Poète, philosophe
publié le 19 mai 2013 à 20h16

«Poétique» est l’adjectif de la louange partagée. D’une exposition, d’une installation, d’une chanson, d’une silhouette on dira aujourd’hui qu’elles sont «poétiques». Le prédicat est ici moins descriptif qu’évaluatif. «Poétique» signifie tour à tour mystérieux, beau, profond, singulier, frappant.

Mais on assiste, aujourd’hui, en France, à un phénomène sémantique qui ne doit pas passer inaperçu : non seulement le nom «poésie» (descriptif en tant qu’il désigne une activité symbolique qu’on a pendant des siècles identifiée comme «art du langage») dont l’adjectif «poétique» (évaluatif) est tiré n’est plus considéré comme son porteur naturel, mais encore on va jusqu’à dénier aux poètes la poésie qu’on prête aux non-poètes. Ce n’est plus la poésie des poètes qui est poétique. On apporte ici un cas limite.

Un paradoxe de l’époque : dans leurs suppléments littéraires, les gazettes ne cessent de saluer tel roman, tel essai, telle réflexion et de les qualifier de «poétiques». Elles ne s’étonnent guère de la disparition dans leurs colonnes du porteur «naturel» de l’adjectifqu’elles utilisent si abondamment.

En octobre 2010, paraissent dans une très belle édition les Fragments de Marilyn Monroe. Ils contiennent outre des proses et des pages de journaux de véritables poèmes (disposés en vers). On les célèbre. Une poétesse est née. En avril 2013, le romancier français Michel Houellebecq publie un recueil de poèmes (ce n'est pas son premier) : Configuration du dernier rivage