Ici, on glisse dans une dimension dont on sortira en se demandant ce que l'on a bien pu faire, durant toutes ces années de vie, de ces deux appendices qui ornent chaque côté de nos mandibules, sont reliés par une connectique complexe à notre cerveau et s'appellent des oreilles. Ici, on entre dans l'histoire d'un Américain, l'auteur, 75 ans aujourd'hui, qui a passé le plus clair de son temps depuis 1968 à écouter et enregistrer les bruits du monde - les «vocalisations des gorilles» du Rwanda s'épouillant, les «couinements du maïs» en train de pousser dans l'Iowa, le «grondement grave d'un jaguar» dans la forêt amazonienne… Ainsi, des mondes littéralement inouïs deviennent audibles, surgissant de l'écriture précise d'un musicien devenu chercheur puis reporter d'«écosystèmes sonores».
Grillons. Bernie Krause est une chimère et son livre est à son image, à la fois récit de voyages naturalistes, réflexions sur l'évolution des voix animales et l'origine de la musique, et autobiographie d'un homme à l'oreille précocement tendue : le son est son «mentor», écrit-il dans un chapitre sans doute trop didactique sur la science de l'acoustique. De son enfance dans une famille de la classe moyenne de Detroit, il retient quelques madeleines proustiennes, tout en bruits : les grillons devant sa fenêtre, les animations de la plomberie, la vieille radio, les chœurs d'oiseaux.
A l'adolescence, il se met à la guitar