Il faut rencontrer Frankétienne pour mesurer son aura. Cette énergie qu'il dégage, étrange mélange de turbulence et de sérénité, dont la vibration flotte autour de sa personne comme une mélodie muette. Figure tutélaire de la littérature contemporaine en Haïti, ce chabin de 77 ans à la voix de stentor s'est hissé au rang des écrivains nobélisables par son acharnement à malaxer les mots, à ciseler la langue selon la méthode poétique révélée par James Joyce dans Finnegans Wake. Ses livres sont ardus, touffus, les phrases y poussent en herbes folles. Forte d'une quarantaine d'ouvrages, la somme (non achevée) des textes écrits par Frankétienne forme aujourd'hui une jungle où le lecteur novice peut aisément se perdre. Pour saisir les secrets de sa composition, mieux vaut revenir aux origines. A la fin des années 60, Frankétienne publiait Mûr à crever, dans lequel il jetait les bases du mouvement spiraliste.
A l'occasion de la réédition de ce roman fondateur, Libération a voulu faire le point avec son auteur sur cinquante ans d'expérimentation littéraire. Nous l'avons rencontré le mois dernier dans un hôtel parisien.
Qu’est-ce qu’un mot pour vous ?
J’ai appris à traiter les mots comme des particules d’énergie sonore. C’est une démarche musicale qui s’est affirmée, qui s’est accentuée tout au long de mon parcours d’écrivain. Avec le temps, j’ai découvert l’importance phonétique du mot et de ses vibrations. J’appelle cela la schizophonie. Le mot constitue le matériau essentiel de l’écrivain