«Cher Maurice,
Avant de vous connaître, je savais lire, mais c'était à peu près tout. Vous m'avez appris ce qu'on pouvait faire avec les livres, les transmettre, les défendre, se battre avec, s'en souvenir. Vous m'avez donné le temps des livres, qui est aussi bien l'engagement, l'amitié, que l'ironie et la distance avec l'époque. Vous m'avez donné une autre image du siècle. Ce XXe siècle, dans lequel je suis arrivée tard, vous m'en avez ouvert une autre porte que celle des crimes, du désœuvrement et de la fin des utopies. Regarder sa violence en face a signifié pour vous de reconnaître avant les autres les écrivains qui la disaient et qui parlaient dans le désert.
«Vous êtes mort et je vous croyais immortel. Ce n'est pas un mot d'enfant. Vous aviez laissé le temps. Dans tous les sens du terme. Vous nous laissiez du temps. Vous le laissiez durer. Le tournant du siècle, pour moi, c'est quand vous avez passé 100 ans. Vous ne rentriez pas dans le nouveau à reculons, mais vous continuiez à regarder le précédent en face et nous disiez que lire, c'est placer son regard en équilibre entre le passé et l'avenir, dans le présent. La dernière fois où je vous ai vu vivant, c'était il y a deux semaines. Vous avez parlé de votre avenir en disant que vous ne le voyiez plus. La Quinzaine allait mal. Je me disais que sans doute, je ne vous verrai plus jamais vivant. C'est ainsi que l'on passe de l'immortalité à la mort d'un seul coup, lorsque l'équilibre auquel on s'accrocha