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Barthes parallèle. Et si le sémiologue n'avait pas glissé sous une camionnette ?

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Le cahier Livres de Libédossier
Rewind. Cet été, «Libération» transforme l’Histoire en fictions. Aujourd’hui, rencontre dans son appartement parisien avec un retraité de 97 ans accaparé par son tricot.
publié le 16 juillet 2013 à 19h26
(mis à jour le 19 juillet 2013 à 11h48)

Quand je suis arrivé chez lui, rue Servandoni, Roland Barthes tricotait à contre-jour. Pourquoi pas ? Il avait dit un jour que, s'il ne travaillait pas, la seule chose qu'il aimerait faire, c'était du tricot. Comme il n'a rien publié depuis 1998, quinze ans déjà, je lui ai demandé si tricoter était un substitut, une rhapsodie, une manière de tisser les mailles du temps. C'était pompeux, il a souri : «Ce n'est symbolique de rien. Ça détend, c'est presque silencieux. Pas tout à fait. Je suis bercé par le cliquetis des aiguilles, comme par des mandibules. Vous êtes trop jeune pour sentir la jouissance qu'on éprouve à être, près d'une fenêtre, pas loin du cercueil, une apprentie dentellière. En écrivant, je vieillissais. En tricotant, je rajeunis.»

Près de lui, sur un guéridon, une assiette où se trouve une poire à moitié entamée. En 1939, il a vu Gide en manger une au Lutetia. Ce fut sa première vision du «grand écrivain», sa première perception du fantasme de l'homme sans l'œuvre. Est-ce un hommage ? Il sourit et ne répond pas. Il semble las. Il respire mal. Il n'enseigne plus au Collège de France depuis qu'il ne publie plus. Antoine Compagnon, qui fut son élève, lui a en quelque sorte succédé. «Parfois, dit-il, c'est lui qui vient ici peler le fruit. Nous parlons de Proust. Ou plutôt, je l'écoute. Les gens qui parlent de Proust sont intarissables.»

Le dernier séminaire de Barthes était consacré à la notion d'extinction. Cette année-là, la Fra