Les écrivains sont des anthropophages, c'est un fait établi. Ils se nourrissent de leurs familles, de leurs amis, d'eux-mêmes évidemment. Les «aliments» ne sont pas toujours ravis : ils se rebellent, font des procès, des dépressions, des tentatives de suicide (le cas est rare). L'écrivain, lui, invoque l'intérêt supérieur de la Littérature, sa faculté de transsubstantiation, son propre compte en banque (le cas est rare aussi). On croyait avoir tout vu dans ce domaine, mais non : le nouveau déballage familial de Jean-Louis Fournier - la Servante du Seigneur, chez Stock - apporte du neuf puisque cette courte lettre d'un père désemparé à sa fille, à laquelle il reproche d'être devenue plus ou moins bigote sous l'emprise d'un «gourou», est suivie de la réponse de la fille, pas contente du tout. En gros, c'était ça ou le procès, et peut-être l'interdiction du livre. Ce droit de réponse en fin d'ouvrage semble être une première : l'édition française est un délicieux geyser de créativité.
D'abord, on est tenté d'ironiser. Le livre avec droit de réponse intégré pourrait devenir un genre en soi, pourquoi pas un filon. J'écris les pires atrocités sur Mémé, et Mémé répond. Sur mon chien, et il aboie. Tout ça reste dans la famille, quoique sous les yeux du pays. On est tenté d'ironiser jusqu'à ce que l'on lise la réponse de Marie, la fille de Jean-Louis «entrée en religion». En voici le début : «Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un père qui offre sa propre fil