En 1989, «ce n'est pas tout le monde qui choisit la Roumanie de Ceaucescu pour faire sa première expérience de la liberté». L'homme qui raconte est un jeune professeur d'anglais britannique, sans nom, accepté depuis Londres à l'université de Bucarest. Sans doute le prend-on à un poste dont nul ne voulait, puisqu'il n'est pas même allé à l'entretien d'embauche. Il vient d'accompagner l'agonie de son père, un homme qui buvait en lisant le journal, puis cognait sur sa femme et sur lui. Maintenant, il s'en va.
La Roumanie de Ceaucescu finissant est un bon lieu d'accueil pour solitaire. La solitude est une forme de surveillance de soi souvent extravagante et là-bas, justement, «la surveillance a cet effet : on cesse d'être soi-même pour vivre à côté de soi. La nature humaine ne peut être changée, mais on peut l'amener à un degré de conscience qui la dénature». Une conséquence est que ceux qui vous fliquent, très vite, n'ont plus trop besoin de le faire. «C'était ça le principe : on finissait par faire le boulot à leur place.»
La première partie du livre décrit l’installation et la découverte d’un monde où rêve et réalité semblent se confondre dans une zone grise qui s’apparente au cauchemar, si l’on n’oublie pas qu’un cauchemar est toujours un mélange indéfinissable d’horreurs, de surprises et de fou rires.
Ainsi en est-il des mémorables descriptions d'une ville jadis célébrée par Paul Morand, que le dictateur détruit à grande vitesse et où les gens circu