Le récit s'ouvre par la mort. Un suicide plus précisément. Celui de Pedro, comédien prometteur parti en tournée dans une grande ville occidentale, qui se jette du douzième étage d'un immeuble, à des milliers de kilomètres de son Haïti natal. Restés à Port-au-Prince, dans leur appartement fauché du quartier Saint-Antoine, ses amis, l'Estropié et le narrateur, apprennent la nouvelle par la radio des voisins. Ondes de choc : «Et voilà que par la voix du présentateur tu rentrais chez toi, dans notre deux-pièces, comme par effraction, comme la pire des surprises, comme si ton corps s'était brisé là, devant nous, dans la chambre.»
Gueuloir. Le narrateur est journaliste, confiné aux notices de la rubrique nécrologique. Il a exceptionnellement «trois colonnes» pour rendre hommage à Pedro. Pas assez pour y faire tenir une vie, en tout cas pas celle-là. Alors l'écriture déborde : «Si je dois écrire un jour l'histoire de mon ami Pedro, pour moi, vraiment, ce sera comme un flux. Sans points. Sans virgules.» Parabole du failli est cet hymne composé au fil de la plume, dans l'un de ces accès de prose qui tient les écrivains en transe jusqu'au bout de la nuit. Entre monologue intérieur et ultime adresse au défunt, le narrateur célèbre la mémoire d'un acteur hors-norme, qui avait fait du monde sa scène de théâtre, et de ceux qui l'habitent, sa galerie de personnages. Comme chaque fois que, de retour de voyage, les gami