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Libération
Critique

Emily Dickinson ressuscitée d’entre les mots

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Délaissant les voies réalistes, l’Américain Jerome Charyn réinvente la poète disparue en 1886
publié le 30 octobre 2013 à 18h16

En 1949, Jerome Charyn a 12 ans et vit à New York dans le ghetto du Bronx Est, précise-t-il par mail, «sans la moindre lueur de culture d’aucune sorte». Un jour, à l’école, il lit dans une anthologie un poème d’Emily Dickinson qui débute ainsi : «Le succès semble le plus doux /A qui ne réussit jamais. /Comprendre le nectar requiert /Le plus cruel besoin.» (Traduit par Claire Malroux, dans Y aura-t-il pour de vrai un matin, publié chez José Corti). Des 1 789 poèmes de l’Américaine, c’est l’unique imprimé de son vivant, en 1878 - anonymement. «C’est un poème sur la gloire et la dignité et la tristesse hypnotique de la défaite, dit Charyn à Libération, et ce fut à peu près le credo du reste de ma vie.»

Culot. Un demi-siècle et une quarantaine de livres plus tard, il publie la Vie secrète d’Emily Dickinson, roman où la femme-poète raconte sa vie, son père, son frère, et d’abord ses passions amoureuses, de 1848 à sa maladie finale, en 1886. Ses poèmes révèlent les intermittences de son cœur, qui n’ont sans doute pas été vécues et dont on ignore, de toute façon, à peu près tout. Il faut donc un solide culot ou un amour fou, ou les deux, pour faire parler une telle morte, pur génie dont les vers et les lettres, posthumes, donnent à entendre si bien la voix pleine de réalisme mystique. Il en faut également pour dessiner sa vie dans la tapisserie opaque et trouée qui nous est parv