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Libération
TRIBUNE

Le désert éclairé du Minotaure

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Le poète italien Erri de Luca se livre à une réécriture de la géographie du continent.
par Erri De Luca, Dernier ouvrage paru : Erri de Luca. Les poissons ne ferment pas les yeux (Gallimard, 2013)
publié le 30 octobre 2013 à 19h56

Je sais de l’Europe que son nom est grec, il veut dire Grands Yeux. Je sais qu’elle fut enlevée dans une région de l’actuel Israël par le roi des Dieux, Zeus, qui l’emmena en Crète. Je sais qu’elle fut la mère de Minos, constructeur du plus célèbre labyrinthe de l’histoire.

Ce parcours à reculons m’aide à savoir que l’Europe d’aujourd’hui est apparentée à un édifice labyrinthique aux nombreuses entrées et sans issue. Avant tout, sans issue : du format Europe on ne revient pas en arrière. Son union monétaire retient ses membres, comme le faisait le Minotaure avec les vierges qui lui étaient consacrées. Quelque part en Allemagne, dans un repaire inaccessible, au nom exotique de Buba (Bundesbank), le Minotaure Euro gouverne les nations et les soumet à son régime alimentaire. Il a appris la leçon et n’autorise l’entrée à aucun Thésée muni du fil de retour.

L’Europe est une expression monétaire. Sa tenue interne est inférieure à la Suisse la plus solide, qui est aussi une fédération, mais avec un seul drapeau, une seule politique étrangère, un seul système de santé et de justice. Mais l’Europe n’est pas une tour de Babel, qui fut une œuvre d’intense et visionnaire concorde, cherchant à atteindre le ciel au moyen d’une construction.

Rien de ce projet commun de l’humanité d’alors ne se retrouve dans le format Europe. Ici, la guerre de cent ans continue avec d’énormes moyens financiers protégés par le secret bancaire, privilège élevé au rang d’un sacrement. Sans issue, l’Europe a beauc